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« Les membres de ma communauté se sont engagés dans la protection des forêts de mangroves, et dans un projet de crédits de compensation carbone. Maintenant, ils en récoltent des bénéfices ! »
Dany Ralaitianimaro, un pêcheur du sud-ouest de Madagascar, sourit : « Le nombre de crabes et de poissons que nous pêchons chaque jour augmente de nouveau, après avoir beaucoup baissé. Et les frais et les équipements scolaires de nos enfants vont être couverts par la vente des crédits carbone. »
Pour les communautés côtières à Madagascar, les mangroves sont une source de bois pour la cuisine et les maisons, un rempart contre l’érosion côtière, les tempêtes et les cyclones, et un refuge pour les crabes, les poissons et les crevettes, soutenant ainsi les pêcheries.
Mais peu à peu, le long des côtes du pays, des communautés de pêcheurs ont aussi appris l’existence d’un secret bien gardé par les mangroves : le carbone bleu. Ces forêts côtières entre terre et mer, lorsqu’elles sont préservées, stockent jusqu’à 5 fois plus de carbone par unité de surface que la forêt amazonienne. Les mangroves sont des puits de carbone, et une solution naturelle essentielle face au dérèglement climatique.
Monétiser le carbone stocké en crédits de compensation carbone permet de financer la gestion locale des mangroves
Pour les communautés isolées qui sont engagées, souvent avec peu de moyens, dans la gestion durable des mangroves, c’est une raison supplémentaire de protéger leurs « forêts bleues ». Monétiser le carbone stocké en crédits de compensation carbone permet de financer la gestion locale des mangroves – notamment les patrouilles communautaires – ainsi que les infrastructures et services communautaires dont elles ont tant besoin – puits, cliniques, écoles, frais de scolarité des enfants. C’est une solution gagnante à la fois pour les personnes et pour l’environnement.
Mais pour émettre des crédits-carbone, il faut des données et mesures régulières, précises et vérifiées.
« Il y a plusieurs années, reprend Dany, j’ai constaté que la dégradation des mangroves se traduisait directement par une baisse de la quantité de ce que je pêchais chaque jour. Alors j’ai commencé à participer au suivi des herbiers marins, des récifs et finalement des mangroves. J’avais envie de mieux comprendre ce qui se passait. » Membre de l’association communautaire qui assure la co-gestion de l’Aire marine protégée (AMP) Velondriake, Dany s’est vite impliqué dans la collecte des données carbone.
« Les mangroves ont un rôle essentiel pour la protection de nos biens et de notre avenir », ajoute Lido Djaomanjaka.
Au nord-ouest de Madagascar, dans la baie de Tsimipaika, Lido participe à tous les activités d’inventaire de mangrove depuis leur lancement en 2013.
En tant que scientifique spécialiste du carbone bleu chez Blue Ventures, j’ai montré à de nombreuses reprises aux membres des communautés de Dany et de Lido comment recueillir des données sur le carbone bleu.
D’abord, il y a le protocole : sélectionner des parcelles représentatives parmi des milliers d’hectares de forêt de mangrove, en fonction des données GPS et des cartographies ; sur chaque parcelle, mesurer le diamètre et la hauteur des arbres, la couverture de la canopée (partie supérieure de la forêt directement exposée au soleil), et collecter des échantillons de sols ; analyser les données et les prélèvements en laboratoire à Antananarivo, la capitale ; et intégrer les enseignements principaux de ces analyses dans les restitutions aux associations communautaires et aux partenaires.
Ensuite, il y a la réalité du terrain : les longues marches sous le soleil brûlant pour atteindre une parcelle, avec les pieds qui s’enfoncent à chaque pas dans la boue ; le marquage physique de la parcelle et l’installation du matériel ; les prises de mesure précises et rapides dans une course contre la montre entre deux marées montantes – les parcelles de mangrove sont submergées par l’eau à marée haute, de sorte que les collecteurs de données ne disposent que de quelques heures par jour pour effectuer leur travail.
Avant le COVID-19, à chaque fois que le moment était venu d’effectuer des mesures sur les parcelles, mon collègue Jaona ou moi-même, qui sommes basés à Antananarivo, allions sur les sites de carbone bleu à travers le pays. Nous pilotions le processus scientifique avec les équipes de Blue Ventures sur place, toujours accompagnés d’au moins cinq membres de la communauté locale en qualité de guides et d’assistants. Certains d’entre eux, comme Dany et Lido, curieux d’en apprendre davantage et assez motivés pour renouveler l’expérience malgré la chaleur, les piqûres incessantes des moustiques et le rythme éreintant, étaient devenus des membres clés de l’équipe. Ils avaient peu à peu appris les aspects techniques par la pratique et en suivant des formations.
« Aujourd’hui, constate-t-il, les actions communautaires pour la protection des mangroves se traduisent directement par la hausse des captures journalières de crabes, de poissons et de crevettes, et notre côte devient plus robuste contre l’érosion, » ajoute Lido.
En quelques années, Lido est devenu l’agent de suivi communautaire le plus qualifié de la baie de Tsimipaika, tout en s’engageant aussi dans un ensemble d’initiatives communautaires. A 24 ans, il est maintenant vice-président de l’association du village d’Ambolikapiky, et un membre incontournable de la patrouille de suivi des mangroves. « Aujourd’hui, constate-t-il, les actions communautaires pour la protection des mangroves se traduisent directement par la hausse des captures journalières de crabes, de poissons et de crevettes, et notre côte devient plus robuste contre l’érosion, » ajoute Lido.
Dany a été sélectionné pour intégrer le Comité de Suivi et Évaluation de l’association Velondriake, qui représente sa communauté dans le processus de suivi et de certification de ce qui est devenu le plus vaste projet communautaire au monde de carbone bleu, Tahiry Honko, validé par le standard Plan Vivo en 2019.
Puis le COVID-19 est arrivé, et les restrictions de déplacement ont limité nos missions de soutien sur le terrain, alors qu’il est impératif que les collectes de données soient réalisées selon le planning prévu. Le transfert de compétences aux communautés et aux équipes locales était déjà un objectif essentiel à moyen et long terme. Il est devenu urgent, y compris pour les parties les plus scientifiques.
Afin que les collecteurs de données acquièrent les capacités additionnelles pour prendre des mesures en autonomie, Jaona et moi avons mis en place un module de formation.
« Tout au long de la partie théorique, les mots techniques et le nom des équipements étaient difficiles à prononcer ou à mémoriser, sourit Lido. Mais on en connaissait déjà certains, comme le GPS ou la boussole, qu’on utilise pour la pêche. Et tous les autres mots, nous leur avons trouvé des noms de code dans notre dialecte local. »
La partie pratique, sur cinq jours, a consisté en un coaching personnalisé. Le dernier jour, Jaona et moi ne disions plus un mot : munis du matériel, de l’équipement et des coordonnées d’une parcelle, les collecteurs de données devaient retrouver la parcelle puis faire les installations et les mesures sans assistance. Nous avons vérifié ensuite les données selon un test statistique : elles étaient solides et conformes à ce que nous nous attendions à voir.
Cette année, alors que les déplacements à Madagascar sont encore restreints en raison du COVID-19, les collecteurs de données procèderont aux relevés de carbone bleu dans leurs mangroves en autonomie. Jaona et moi referons un test statistique – nous sommes confiants sur le résultat. Lorsque nous ferons l’analyse des relevés à Antananarivo, ce sera l’aboutissement du dur travail de Dany, Lido et tous les autres gardiens communautaires du carbone bleu.
En savoir plus sur les Forêts Bleues
Découvrez un court métrage sur Tahiry Honko, le plus grand projet communautaire de conservation du carbone des mangroves au monde
Découvrez un autre blog d’Ismaël Ratefinjanahary sur le carbone bleu à Madagascar.
Ce travail a été soutenu par l’International Climate Finance (ICF) du gouvernement britannique et le Global Environment Facility (GEF). L’ICF désigne l’aide britannique apportée aux pays les plus pauvres pour les aider à faire face aux causes du changement climatique, par des actions telles que la protection des forêts et des mangroves, qui constituent des puits de carbone essentiels, et la restauration des écosystèmes dégradés.